La culture d’ innovation en entreprise, mais c’est quoi au juste ?
La semaine dernière, je travaillais avec mes étudiants sur le cas de Google et sur la stratégie de croissance de cette entreprise, d’abord organique puis fondée sur les acquisitions d’autres entreprises. Certains de mes étudiants me faisaient remarquer dans leurs travaux que Google avait su développer une « culture d’ innovation » qui avait permis de valoriser tous les talents recrutés très tôt par l’entreprise et de transformer des compétences réelles – compétences pas toujours qualifiées d’ailleurs – en programmes, en moteur de recherche, en services nouveaux et la plupart du temps innovants… Pour ces étudiants, le cas de Google fait figure de doux idéal type, qu’il faudrait impérativement appliquer dans toutes les entreprises qui se veut innovante :
- Recrutement sélectif de talents – qui soulignons-le – se seraient déjà révélés ou auraient déjà travaillé leur talent ailleurs,
- Chouchoutage de ces talents en leur conférant une certaine liberté, ce fameux 20% de temps de travail alloué au développement d’un projet qu’ils auraient identifié comme bon pour l’entreprise,
- Le tout dans une ambiance de travail difficilement qualifiable et que tout le monde résume à « la culture d’ innovation »…
Ce terme de « culture d’ innovation »… Quel terme parfois réducteur : un problème sociétal ? un problème de groupe ? C’est un problème culturel…
Question : L’entreprise ne sait pas innover ?
Réponse : La faute au manque de culture d’ innovation… Concrètement ? Heu… une culture trop technique ? Un manque de culture orientée marché ? Deux cultures ? Celle de la R&D et celle du marketing qui ne sont pas compatibles ?
Lorsque j’entends le terme « Culture d’ innovation », je ne peux m’empêcher de penser à Pennac qui tentait de nous inculquer le gout de la lecture, la culture du livre : « Lis… Lis te dis-je » et son analogie avec « aime, aime te dis-je ».
Ici, j’imagine facilement le dirigeant d’une entreprise dire « innove, innove te dis-je »… On comprend aisément le malaise et l’inconfort du salarié et, par là même le vrai sens du terme « culture d’ innovation » : L’acteur dans une entreprise qui a la culture d’ innovation n’a pas besoin de s’entendre dire « innove ! ». Il le fait naturellement et l’entreprise l’aide dans cette démarche.
Comment ?
La capacité d’ innovation d’un individu, ou d’un petit groupe, est fortement liée à sa capacité créative. La psychologue T. Amabile nous rappelle que la créativité n’est pas innée, donc mobilisable sur injonction – je dirais même sur commande ! Elle s’explique par trois facteurs :
- Une bonne expertise dans le domaine où il convient d’innover : Inutile de demander à un marketer spécialisé sur tel ou tel marché de suggérer des idées pertinentes pour développer une nouvelle technologie : il ne saura pas le faire… et c’est normal !
- Un entrainement à formuler des idées d’ innovation. Innover, c’est comme le jogging. La première fois que l’on court durant 50 mn, c’est généralement dur et pénible. Plus on court, plus c’est facile… Donc, plus on s’entraine à émettre des idées d’ innovation, à les mettre en œuvre pour se dépasser…
- Une envie d’innover, une motivation. Plus cette motivation est propre à l’acteur – on parle de motivation interne -, plus ca marche ! En revanche, les incitations financières, même si elles restent souvent les bienvenues, n’ont qu’un très faible impact sur la capacité créative de l’acteur : il sera incité à soumettre plus d’idées certes… mais pas souvent innovantes et utiles pour l’entreprise.
Bref, l’entreprise qui permet à la plus grande part de ces salariés de développer ces trois facteurs peut être considérée comme une entreprise qui a une culture d’ innovation… Après, peu importe les moyens du moment que l’esprit est là !!!
2 Comments
Emmanuel Anique
8 ans ago -Bonjour,
D’accord avec vous, tout comme la motivation, l’innovation ne se commande pas. Il y a de nombreux parallèles à faire entre les deux. Surtout lorsque les organisations attendent une innovation du bas vers le haut (bottom-up). Je vois deux points vraiment importants que vous n’avez pas eu l’occasion de developper dans votre article : l’inspiration et la stratégie de groupe.
Un Innovateur peut contaminer l’organisation avec sa manière d’aborder les problèmes et de proposer les solutions. La culture d’innovation trouve sa source dans l’inspiration générée par l’innovateur. Tout comme la motivation vient à ceux qui se reconnaissent dans le mouvement créé par un leader.
D’autre part, le poids de la stratégie de groupe est incontournable. Certaines organisations ne sont pas destinées à se transformer significativement via l’innovation. Malgré tout le discours ambiant, malgré les effets de mode, une filiale de groupe taillée pour l’excellence opérationnelle et la génération de revenus réguliers parce qu’assise sur un business model bien établi, aura toujours un réflexe de survie face à une cannibalisation d’elle-même. Au mieux, elle s’améliore continûment, mais elle ne peut s’uberiser elle-même. C’est à mon avis le frein principal aux tentatives de mise en place d’une culture de l’innovation. Toute barrière consciente ou inconsciente à l’innovation, même si on ne souhaite que garder sous contrôle l’innovation de rupture, tue l’initiative.
Exemple: une entreprise de service identifie que l’innovation numéro 1 attendue par ses clients…est d’automatiser le service (base de connaissance, usage de robots interactifs, proactivité) alors que le business model repose sur l’écart entre le coût de main d’oeuvre pour produire le service et le prix de vente du service… l’entreprise entre dans l’inconnu en réduisant sa main d’oeuvre, tout est à revoir : son ROI/ROA, son modèle de croissance, son EBIT,… Elle hésite entre résister et suivre. C’est à l’actionnaire propriétaire de décider parce qu’aller vers ce nouveau modèle nécessite un passage par la case refinancement.
C’est pourquoi, j’estime que l’innovation de rupture est avant tout une histoire d’entrepreneuriat, de financement du capital risque, de fusions et acquisitions, de spin-off avec LBO.
A la rigueur, l’innovation incrémentale, relève de l’organisation elle-même. Le reste est voué à l’échec à moyen terme et donc à la frustration.
Cordialement,
Emmanuel Anique
ACIES
8 ans ago -Un rédacteur qui fait bien son travail ! bravo